L’Union européenne a une carte à jouer dans la construction de la paix entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie
Depuis la signature du cessez-le-feu le 10 novembre 2020 entre Arméniens et Azerbaïdjanais après 44 jours de guerre qui a vu Bakou récupérer le Karabakh, reconnu comme sien par trois résolutions des Nations Unies depuis 1992, la pacification de la région est un enjeu majeur pour les deux pays. Le premier ministre arménien, Nikol Pachinian, qui a dû faire admettre cette nouvelle réalité à son peuple, est toujours aux commandes, multipliant les rencontres avec le président azéri Ilham Aliyev, sous égide récurrente de l’Union européenne.
Sébastien Boussois est docteur en sciences politiques, enseignant en relations internationales, collaborateur, chercheur en relations euro-arabes/terrorisme et radicalisation, associé au CECID (Université Libre de Bruxelles), à l’UQAM (OMAN- Université de Montréal) et pour SAVE BELGIUM (Society Against Violent Extremism).
Après la médiation russe pour parvenir à un arrêt des combats, et dans un contexte actuel où la Russie est empêtrée sur le front ukrainien, Bruxelles joue là une carte majeure de sa diplomatie. Par la voie de Charles Michel, le président du Conseil européen, espère redevenir une puissance diplomatique et de médiation. Cela est bon pour la sécurité du Caucase-sud, mais cela sera bon pour notre propre sécurité aussi. D’autant que depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Europe a un intérêt majeur en termes énergétiques avec l’Azerbaïdjan, avec qui elle a signé cet été un nouvel accord de partenariat autour du gaz pour rompre sa dépendance énergétique russe au plus vite.
Au-delà des quasi trente années d’occupation arménienne du territoire azerbaïdjanais, ayant vu l’expulsion de près de 800 000 azéris de leurs maisons, Bakou n’a jamais admis que près de 20% de son territoire initial, depuis son indépendance en 1991, lui ait été volé pour en faire une zone de non droit, militarisée, et dont les principaux lieux historiques ont été détruits.
Depuis longtemps, la région du Karabagh constitue une part essentielle de l’histoire et de la culture de l’Azerbaïdjan. La diversité des populations qui résident dans cette région, ainsi que sa position géographique, ont fait de ce lieu une richesse inestimable pour l’ensemble du Caucase qu’il est urgent de réhabiliter. Mais les deux pays concernés ne pourront le faire seul.
Entre 1991 et 1994, la première guerre du Karabagh avait eu des conséquences terribles sur la vie sociale, économique mais également culturelle de cette région. La seconde de 2020 a été violente également.
L’Union de la médiation
Après la guerre, vient donc le temps de construire le chemin de la paix, qui passe par la résolution de plusieurs problèmes dont s’est emparé depuis des mois Bruxelles. L’Union européenne, dans le cadre de son Partenariat oriental, s’est déjà engagée à aider les deux pays dans ce sens, pour favoriser le dialogue et pour soutenir de multiples projets en cours et à venir.
D’abord, pendant toute l’occupation, l’Arménie a établi de vastes champs de mines dans ces zones du Karabagh, mettant en danger tous les civils qui y résidaient. Le déminage des territoires libérés est primordial pour poursuivre le processus de développement de la région.
Comme il était indiqué dans la Déclaration tripartite datant du 10 novembre 2020 qui a mis fin au conflit, l’Arménie avait accepté de transférer les cartes à l’Azerbaïdjan, détaillant l’emplacement de ces mines. Un autre frein à la réhabilitation du Karabagh concerne la pollution des rivières prenant leur source dans des pays voisins. L’Arménie les pollue délibérément avec le rejet de divers déchets, notamment de produits chimiques et de métaux lourds.
Autre urgence pour avancer vers la paix : le retour des réfugiés azerbaïdjanais dans leur terre natale et la reconstruction des territoires libérés constituent une priorité dans la stratégie d’après-guerre de l’Azerbaïdjan… mais pas seulement.
Pendant l’occupation, le patrimoine culturel, historique et religieux de l’Azerbaïdjan a été détruit en violant de manière flagrante des articles essentiels de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en période de conflit armé. Toutes les maisons, musées, bibliothèques, bâtiments gouvernementaux ont été détruits. Les mosquées, les ponts et les temples de ces régions ont non seulement été rasés, mais dans de nombreux cas, réemployés de manière tout à fait inappropriée et insultante pour le peuple azerbaïdjanais. Aghdam, phare culturel du pays depuis le XIXe siècle, a été totalement rasée et détruite par l’Arménie. Il va falloir rebâtir des lieux et une vie sur place.
En moins d’un an, de grands projets de reconstruction et de réhabilitation ont été immédiatement lancés par Bakou afin de pouvoir redonner une vie normale aux districts azerbaïdjanais dévastés par l’occupation. La construction des infrastructures nécessaires – routes, aéroports, smart cities (villes intelligentes), a pour but non seulement de faire revenir les personnes déplacées sur leur terre natale, mais également d’assurer la paix et d’améliorer l’économie de la région du Caucase du Sud.
La paix s’installe
Charles Michel, à l’issue du 4ème round de négociations qui se tenait le 31 août à Bruxelles entre les dirigeants azéri et arménien, faisait le point sur l’engagement des parties et de l’Europe.
« Comme convenu lors de notre dernière réunion en mai, j’ai accueilli aujourd’hui le président azerbaïdjanais, M. Aliyev, et le Premier ministre arménien, M. Pachinian. Il s’agissait de notre quatrième rencontre dans cette configuration. Nos discussions ont porté sur l’évolution récente de la situation dans le Caucase du Sud et sur les relations entre l’UE et les deux pays (…). Il est encourageant de constater qu’un bon nombre de mesures ont été prises pour faire avancer les accords conclus lors de notre dernière réunion. »
C’est aujourd’hui clairement de l’intérêt des deux pays d’aller dans le sens de la paix : prospérité économique, pacification des relations entre les deux sociétés, coopération régionale, désenclavement de l’Arménie et dynamisme global des échanges entre tous les pays voisins.
Concrètement parlant, l’Europe a poussé les parties à intensifier les travaux de fond visant à faire progresser le traité de paix entre les deux pays, afin d’aboutir sur un texte définitif. La question du déminage, des personnes détenues et des disparus a été au cœur des échanges menés par Charles Michel avec les deux dirigeants. Il faudra parvenir à une redéfinition officielle des frontières entre les deux pays et le sujet sera rediscuté lors d’une prochaine réunion à Bruxelles.
L’Europe apportera son soutien également au désenclavement de la région et au rétablissement des routes, voies de chemin de fer, pour faciliter transports et circulation des personnes. La prochaine réunion tripartite aura lieu en novembre dans la capitale de l’Union, à Bruxelles.